Le sport, ce n’est pas la fête sur les pièces en euros

Après avoir lu un appel à contributions pour un numéro de la revue en ligne Journal of Festive Studies consacré au thème « Sport and Festivity », comme le sport est un thème fréquent des monnaies commémoratives de 2 €, j’ai voulu voir la façon dont ce sujet est présenté sur ces images numismatiques récentes.

Le corpus est pour l’instant constitué de 21 monnaies. Voici les pays émetteurs de ces pièces « sportives » avec le nombre de pièces : France (6), Grèce (3), Portugal (3), Andorre (1), Belgique (1), Estonie (1), (Finlande) (1), Italie (1), Lituanie (1), Luxembourg (1), Malte (1), Slovaquie (1)¹.

Festivals

Il est frappant de constater que certains pays de la zone euro n’ont frappé aucune pièce commémorative de 2 € liée au sport, alors que la France en a émis 6, la Grèce et le Portugal 3 chacun. Cela est dû au fait que la France a lancé un programme pluriannuel de frappe de monnaies en rapport avec les Jeux Olympiques qui se tiendront en 2024 à Paris, alors que la Grèce, organisatrice des JO de 2004, et l’Italie, organisatrice des JO d’hiver de 2006, ont fait elles le choix de ne frapper qu’une seule monnaie lorsque le pays a organisé cet événement. Toutefois, en ce qui concerne la Grèce, ce pays a aussi émis une monnaie pour les Jeux olympiques spéciaux (pour les personnes handicapées mentales) organisés à Athènes en 2011.

En revanche, d’autres pays ont frappé des monnaies pour des Jeux Olympiques qu’ils n’organisaient pas eux-mêmes : le Portugal pour les Jeux Olympiques de Tokyo et ceux de Rio, et la Belgique également pour ceux de Rio.

Aux monnaies « olympiques », il faut ajouter celle de la Grèce en 2015 pour le 75^e anniversaire de la mort de Spyrídon Loúis, vainqueur du marathon en 1896 lors des premiers Jeux Olympiques modernes, celle de la France en 2013 pour le 150^e anniversaire de la naissance de Pierre de Coubertin et celle du Luxembourg en 2023 pour le 25^e anniversaire de l’admission du Grand-duc Henri comme membre du CIO².

En comparaison avec les Jeux Olympiques, il est remarquable que le football ne soit représenté qu’une seule fois sur les pièces commémoratives de 2 €, de nouveau par la France, en 2016, pour le championnat d’Europe de football. Remarquons toutefois que les championnats d’Europe de 2008, 2012 et 2021 soit n’étaient pas organisés dans un pays membre de la zone euro, soit étaient préparés conjointement dans plusieurs pays qui n’étaient pas tous membres de la zone. En ce qui concerne la Coupe du Monde de football, seul l’événement de 2006 tenu en Allemagne aurait pu donner lieu à une monnaie en euros. Soulignons enfin qu’on ne parle ici que de sport masculin: aucun événement purement féminin n’a donné lieu à une monnaie commémorative de 2 €.

La France commémore un autre grand tournoi international avec la coupe du monde de rugby (masculin) en 2023. Andorre célèbre en 2019 les finales de la Coupe du monde de ski alpin 2018-2019 (pour hommes et femmes) et le Portugal met en valeur un autre tournoi multisport international, mais de moindre ampleur, avec les Jeux de la Lusophonie de 2009 (hommes, femmes et personnes handicapées). Finissons cette liste avec la monnaie slovaque de 2024 pour le 100^e anniversaire du marathon international de Košice (également connu sous le nom de Marathon international de la paix) (au début uniquement pour hommes, mixte depuis 1980).

En tout, 17 monnaies sur 21 sont consacrées à des rassemblements sportifs compétitifs internationaux. Ce sont les grands festivals de sport qui sont mis en valeur par les gouvernements européens dans leurs pièces, c’est-à-dire le sport professionnel de haut niveau, pas la pratique amateure, sauf peut-être pour le marathon international de Košice, mais cela reste à vérifier³ .

Les autres commémorations

En 2016, l’Estonie célèbre avec une monnaie le 100e anniversaire de la naissance du joueur d’échecs estonien Paul Keres ; en 2022, la Lituanie fête les 100 ans du basket-ball [en Lituanie, je suppose] [Ill. 4] et la Finlande le centenaire du Ballet National de Finlande [Ill. 15]. Une monnaie se démarque par son originalité, celle de Malte en 2020, qui a pour thème les jeux et est illustrée par un dessin d’enfant, choisi par concours [Ill. 21].

L’absence de public

Alors que la majorité des pièces sportives sont consacrées aux grands festivals sportifs, il est frappant que le public, les spectateurs ne sont absolument pas représentés sur ces monnaies. Parfois, un stade est visible en arrière-fond de l’image principale (Grèce 2015 [Ill. 1], France 2021, France 2022, France 2023 [Ill. 12-14]), mais il apparaît vide et on n’y distingue nul être humain.

Parfois, un élément de paysage ou de patrimoine urbain permet d’identifier géographiquement le lieu de la rencontre (Italie 2006 : la Mole Antoniella pour Turin [Ill. 2]; France 2016 : une carte de la France [Ill. 3] ; Lituanie 2022 : une carte de la Lituanie [Ill. 4]; France 2021 : la Tour Eiffel ; France 2022 : le Génie de la Bastille ; France 2023 : le Pont Neuf [Ill. 12-14]).

La participation, l’enthousiasme populaires sont les grands absents de ces images. Elles représentent des festivals sans fête.

Peu de joie, peu d’émotions

Il faut bien dire qu’on ne voit pas non plus beaucoup de joie ni même de sentiments sur ces monnaies. Évidemment parfois pour de simples raisons pratiques, comme avec l’athlète faisant du ski de la monnaie italienne de 2006 [Ill. 2] et celui d’Andorre en 2019 [Ill. 5] : ils ou elles sont casqué.es, mais leurs mouvements et la vitesse qu’ils évoquent sont excitants.

Les seules expressions de joie sur les monnaies commémoratives en euro ne sont en fait pas des images numismatiques ou des choix numismatiques originaux résultant d’autorités publiques, car elles ne sont que des copies de logos. Ainsi, la pièce émise pour les jeux olympiques spéciaux d’Athènes de 2011 [Ill. 6] reprend le logo du concours [Ill. 9], et exprime une idée de joie avec une figuration symbolisée d’athlète, un rameau d’olivier en spirale sur fond de soleil radieux. En 2016, c’est un autre logo [Ill. 10] qui symbolise la joie individuelle d’un ou une athlète vainqueur se drapant du drapeau national belge après sa performance [Ill. 7]. Quant à l’image de la pièce portugaise de 2009 célébrant les jeux de la lusophonie [Ill. 8], elle est paradoxale car elle reprend le logo des jeux [Ill. 11], une image joyeuse d’une silhouette d’athlète maniant le ruban de la gymnastique rythmique, alors que cette discipline n’est pas concourue lors de cet événement.

Par ailleurs, il faut reconnaître un certain humour aux pièces françaises émises pour les jeux Olympiques de 2024 avec Marianne en sprinteuse (2021), l’hybride du Génie de la Bastille et du Discobole de Myron (2022) et la Semeuse boxeuse (2023) [Ill. 12-14], mais il s’agit d’un humour référentiel, d’allusions culturelles mêlant, assez finement il faut le dire, patrimoine historique sportif et patrimoine national ; on ne peut parler d’expression de joie.

Quant à la monnaie finlandaise de 2022 célébrant les cent ans du ballet national [Ill. 15], si elle montre une belle jambe musclée et un geste plein d’allant, on ne peut y voir de visage et discerner clairement le sentiment qu’elle pourrait exprimer.

Il est peut-être intéressant de souligner que deux pièces peuvent évoquer une émotion forte auprès de certaines personnes parce qu’elles déploient une image religieuse, chrétienne. Elles sont toutes deux portugaises. Ainsi, la monnaie qui célèbre les Jeux Olympiques de Tokyo [Ill. 16] est-elle inspirée du logo du Comité Olympique du Portugal [Ill. 17], mais elle le simplifie. Cela a pour conséquence que la croix de l’ordre du Christ qu’on y voit n’apparaît plus que comme symbole religieux après avoir perdu sa fonction de décoration de voile de bateau associée aux grandes découvertes du Portugal, le mât quant à lui n’est plus qu’un trait oblique difficilement compréhensible.

En ce qui concerne la monnaie célébrant les Jeux Olympiques de Rio en 2016 [Ill. 18], on peut aussi s’interroger sur la signification première de l’image. Officiellement, il s’agit de la « Représentation de l’œuvre Cœur indépendant rouge [Ill. 19] de l’artiste portugaise Joana Vasconcelos »⁴. Celle-ci, une œuvre d’art contemporain, est un grand mobile fait d’un ensemble de plusieurs milliers de fourchettes en plastique déformées par la chaleur. Toutefois, la forme de cette sculpture est très précisément celle d’un emblème religieux célèbre du Portugal, souvent reproduit sur des bijoux [Ill. 20], le Sacré Cœur de Viana do Castelo. Les deux monnaies portugaises me semblent donc étroitement mêler sport et catholicisme, festival sportif et émotion religieuse.

Conclusion

L’image du sport que donnent les monnaies commémoratives de 2 € est guindée, centrée sur le sport professionnel, ses athlètes et l’obtention de résultats. Aucune attention n’est consacrée aux spectateurs ou spectatrices. Quand des sentiments y apparaissent, c’est lorsque les États reprennent sur leurs monnaies officielles des logos d’organisations d’événements sportifs, très probablement créés par des agences de publicité ou de communicants. On peut alors considérer que l’État délègue son image à un organisme plus ou moins privé. Lorsque le Portugal emprunte des symboles catholiques pour ses monnaies, il ressort à un patrimoine culturel national, et il est permis de se demander si les autres participants du Conseil européen, qui, rappelons-le, doivent approuver conjointement toutes les monnaies commémoratives de 2 €, ont bien compris la signification de ces messages religieux.

La monnaie de Malte consacrée aux jeux d’enfants [Ill. 21] est une exception, bienvenue, dans cette série, car on n’y voit que le pur plaisir qu’une activité corporelle peut apporter, sans pression commerciale ou religieuse et sans volonté de victoire.

1. J’adopte ici la définition de sport donnée par le Conseil de l’Europe dans la Charte européenne du sport révisée (2022) , p. 13-13, article 2.1: “toutes formes d’activités physiques qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif le maintien ou l’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition à tous niveaux.” J’ai inclus dans la recherche pour mon corpus les micro-états qui utilisent l’euro sans faire partie de l’Union Européenne, ce qui explique la présence d’une monnaie d’Andorre. [↩]
2. Je n’ai pas trouvé de reproduction de projet pour cette dernière pièce. [↩]
3. Je n’ai pas trouvé de reproduction de projet pour la pièce. [↩]
4. “le dessin est une composition inspirée de la célèbre œuvre d’art signée par son auteur, Mme Joanna Vasconcelos, le «cœur de Viana», inspirée de la bijouterie traditionnelle du nord du Portugal (près de la ville de Viana do Castelo). Il symbolise le soutien du peuple portugais à l’équipe nationale à l’occasion des Jeux.”, Nouvelle face nationale de pièces en euros destinées à la circulation (2016/C 97/10), Journal officiel de l’Union européenne (12 mars 2016). [↩]

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